Accueil des réfugiés ukrainiens : «Les hébergeurs doivent tout donner sans rien attendre en retour»

Le docteur Patrick Alecian, psychiatre à Paris et spécialiste du psychotraumatisme de guerre, insiste sur la nécessité de bien accompagner les familles volontaires pour accueillir les victimes de la guerre en Ukraine.

Paris, le 17 mars. «Il faut être prêt à ce que les réfugiés puissent réagir à des bruits, déambuler la nuit, ou vouloir rester seuls», prévient Patrick Alecian. LP/Agnès Vives

Le docteur Patrick Alecian, psychiatre et pédopsychiatre, participe le 28 mars à Paris à un colloque organisé par Santé Arménie sur le psychotraumatisme de guerre, en s’appuyant sur les conflits en Arménie, dont le dernier en septembre 2020 au Haut-Karabakh, qui ont conduit des milliers d’Arméniens à l’exode. Cette expérience lui permet d’analyser la situation des Ukrainiens.

Comment décririez-vous l’état psychologique des réfugiés ukrainiens qui arrivent en France ?

PATRICK ALECIAN. Il y a le temps traumatique, celui où les personnes sont sous les bombes, en train de combattre ou de fuir. À ce moment-là, elles développent des capacités d’adaptation et d’entraide. À leur arrivée, elles sont dans les derniers jours de ce temps-là, face à la perte de proches, la séparation, l’inconnue, sans savoir quand elles rentreront au pays, quand elles retrouveront leur mari, leur frère, leur père, puisque ce sont pour beaucoup des femmes avec enfants. Puis il y a le temps post-traumatique. Les troubles peuvent apparaître quelques mois après leur refuge, ou bien quelques années après.

Comment se manifeste ce traumatisme, quels en sont les signes ?

À partir du travail des ONG en Arménie, on s’est aperçu que la mère délaisse l’enfant. Sa préoccupation est de retrouver l’être manquant. De cette préoccupation, naît un sentiment de culpabilité très fort qui va générer des troubles, voire réactiver des troubles psychiatriques anciens, sous forme d’obsessions, d’accablement, d’insomnie. Les premières attentions doivent donc se porter sur la mère, l’empêcher de rester seule, de s’éloigner de l’enfant. Alors que ce dernier va, lui, vouloir protéger sa mère. Mais les psycho-traumatismes peuvent être multiples, complexes, et réveiller le passé. On le voit avec des Arméniennes qui ont perdu à la guerre un père, puis un mari et après un enfant. En Ukraine, on n’en est pas loin. Le conflit a commencé il y a huit ans, en Crimée et au Donbass. Mais cela peut renvoyer à des générations en arrière, au temps de l’Holodomor, cette famine terrible de 1933, voulue par Staline.

«Il faut créer un réseau, un collectif pour qu’accueillis et accueillants ne se sentent pas seuls »

Beaucoup de Français sont volontaires pour héberger des réfugiés. Quels conseils leur donnez-vous ?

Il faut se préparer à fournir beaucoup d’efforts pour accueillir ces réfugiés, avant de leur demander tout effort. En clair, il faut tout donner et ne rien attendre en retour. L’accueillant doit apprendre quelques mots de la langue, adapter la cuisine pour les aider à retrouver des références, mais aussi offrir des conditions correctes de sommeil et veiller aux besoins médicaux. Le stress a pu créer des pathologies. Les hébergeurs doivent aussi leur permettre de communiquer et d’appeler en Ukraine, en Pologne, en Moldavie, etc., là où ils ont des proches. Il faut être prêt à ce que les réfugiés puissent réagir à des bruits, déambuler la nuit, ou vouloir rester seuls. Leur esprit est encore de l’autre côté de la frontière.

Dans ces conditions, tout le monde peut-il accueillir un réfugié ?

Cela aurait du sens, pour quelques jours, mais pas sur la durée. Si beaucoup de Français sont volontaires, il faut les accompagner, et pas seulement sur le plan administratif, créer un réseau, un collectif pour qu’accueillis et accueillants ne se sentent pas seuls. Pourquoi ne pas organiser des temps pour que les uns et les autres se retrouvent dans le gymnase de la ville ou une salle des fêtes afin de partager des informations, des collations et échanger ?